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Cuisine de la mer
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9 novembre 2007

Lisettes aux craterelles et aux figues

Vendredi Breizh

C'est une recette que j'ai imaginée vendredi dernier, le 2 novembre à l'occasion la Fête des Morts, même pas peur... Vous êtes quelques-uns à vous être indignés que dans mon dernier billet,  je ne me sois pas plus attardé sur les légendes celtes entourant la Fête de Samain et plus généralement, l'évocation de la mort. Sachez tout d'abord que ce ne sont pas des légendes, on raconte çà aux touristes pour ne pas les effrayer outre mesure, déjà qu'on a les nitrates, les crêpes sucrées, les marées noires et les tricots rayés, manqueraient plus que des revenants en chair et en os pour faire sombrer notre balance commerciale, on ne s'en sort déjà plus avec le prix pharamineux du gasoil!

En attendant, bien qu'irréductible breton nettement plus à l'ouest qu'Astérix et ses potes, je me réfère à César pour vous montrer à quel point nous autres celtes, nous sommes un peuple de la nuit.  Il écrivait le bon Jules : "C'est par le nombre des nuits et non des jours que les Gaulois comptent le temps. Ils placent les anniversaires, les commencements des mois et des années de telle façon que le jour fait suite à la nuit". N'allez pas croire que c'est en raison d'un tempérament particulièrement sombre qu'il en est ainsi, mais parce que qu'il s'agit d'un calendrier lunaire.

L'année celte ne connaît pas de demi-saison, nous avons l'hiver qui commence  à Samain, en novembre, et l'été qui débute en mai avec les fêtes de Beltane. Chez les irlandais, les mots samhain et bealtaine sont toujours employés pour désigner les mois de novembre et de mai.

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Comptant le temps en commençant par la nuit, il n'est pas totalement hors de sens que les celtes fassent débuter l'année par l'hiver. Un moment hautement symbolique, temps de rupture où la mort est présente avec la nature qui s'endort. Puis temps de renaissance après que les vivants aient aidé les morts de l'année à passer. Samain se déroulait généralement sur six jours,  pour célébrer la fin de l'été  entre le 25 octobre et le 20 novembre, le sixième jour de la lune montante.

La mort était symbolisée dans les habitations par l'extinction de tous les feux, celui de l'âtre comme ceux des granges et des forges, puis de grands feux sacrés étaient allumés un peu partout. A la fin, chaque chef de famille prenait une branche enflammée dans le feu collectif et l'utilisait pour rallumer son foyer. On se grimait et on se maquillait pour effrayer les esprits, tout en faisant copieusement la fête.

On disposait des offrandes pour les morts, lesquels circulaient près des vivants pendant cette période, de la nourriture et la boisson, mais aussi d'autres prévenances, telle cette tradition qui s'est assez longtemps maintenue en Bretagne et dans d'autres pays celtes, de placer des pierres dans les feux de Samain / Toussaint, afin que les morts puissent s'y chauffer. Peu a peu, la tradition de ces feux s'est amenuisée pour devenir symbolique. Pour guider les morts ou par habitude, on se contentait de creuser des betteraves (ou des navets ou des pommes de terre, époque bénie de la polyculture)  et d'y placer des bouts de chandelle allumés. Çà ne vous rappelle rien?

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Pas étonnant qu'avec une telle familiarité avec la mort et la nuit, les bretons n'aient pas voulu laisser leur faucheur aller tout nu, montrant l'intimité de son squelette à tous ceux qui pouvaient le croiser (mais qui toutefois ne restaient pas assez longtemps en vie pour le raconter à trop de gens). Non, notre Ankou, il est fringué, il a même un chapeau de dimension impressionnante. L'image ci-dessous est la couverture de l'édition de Coop-Breizh de l'excellent : "La légende de la mort" d'Anatole le Braz, un bouquin qui a plus d'un siècle, mais dont ne se lasse pas, n'est-ce pas Titouan l'Oiseleur?

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Dans mon précédent billet, je vous ai livré une autre image de l'Ankou, avec sa charrette et ses chevaux; il dispose également de deux acolytes, l'un guidant les chevaux, l'autre ouvrant les barrières et chargeant les morts dans la charrette aux essieux qui grincent. C'est d'ailleurs à ce bruit qu'on peut tenter de l'éviter, je l'ai entendu plusieurs fois en rentrant tard chez maman. Vous remarquerez que, comme dans nombre de représentations de l'ouvrier de la mort,  la lame de sa faux est emmanchée à l'envers, il la projette pour frapper et ne ramène pas à lui sa provende. C'est ainsi que procédaient les paysans lorsqu'il leur prenait des pulsions de jacqueries.

Le brave Ankou n'est pas le seul à s'occuper de nos derniers instants, les filles s'en mêlent aussi. Les Lavandières Blanches sont la transposition des fées celtes qui hantaient les parages des fontaines toutes magiques, auxquelles sont souvent et prosaïquement accolés des lavoirs. Alors, si par une nuit noire vous croisez une fille vêtue de blanc, qui vous demande de l'aider à étendre le linceul qu'elle vient de lessiver, sauvez vous vite!

Je ne les ai jamais rencontrées celles-là lors de mes virées nocturnes en Bretagne, car il n'existe pas à ma connaissance de fontaine suffisamment miraculeuse pour qu'y jaillisse un quelconque breuvage fermenté, pas même de l'hydromel... bref, des endroits à éviter, même en plein jour et à jeun,  comme en témoigne cette photo que j'ai prise à la chapelle Saint-Laurent en Plouguerneau, vous la voyez? Il n'y a aucun trucage!

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Tout cela est du domaine du champêtre, bon enfant et rassurant somme toute. Il en va bien autrement en mer. La figuration de la mort est une barque noire, (bag noz, littéralement barque de la nuit), une très ancienne légende celtique également, mais pas seulement : nombre de traditions par le monde assurent qu'une âme ne peut atteindre l'au delà sans un pont ou une barque s'il y a de l'eau, mer ou rivière à traverser. Selon les contes, ce bateau est soit mené par un équipage (gémissant et hurlant comme il se doit), soit barré par un homme seul, le dernier noyé de l'année, de la même façon que le rôle de l'Ankou est dévolu au dernier mort de la paroisse. Contrairement à la charrette de ce dernier, la barque ne rend que rarement le corps de ses victimes.

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Le fait est que cette barque ne semble pas parfaire son oeuvre, puisque les âmes des disparus en mer continuent à pulluler, le temps me manque (et votre patience sans doute, mais je peux me déplacer aux veillées des plus passionnés) pour vous en conter en détail les nombreuses manifestations.

Tout le monde les a au moins une fois entendues hurler dans le vent des jours de tempête, certains marins racontent les histoires de mains s'accrochant au plat-bord ou au bout-dehors de leur embarcation. Par mer calme et brouillard épais, on voit flotter des corps, les coureurs de grèves et d'épaves en croisent parfois, venant leur disputer les bouts de bois jetés à la côte afin d'assembler un radeau pour l'au-delà. En ce qui me concerne, je ne n'ai jamais osé les contrarier au delà de la simple taquinerie essentielle à toute discussion entre bretons, quelque soit le bord où ils naviguent.

Dans le cimetière d'Ouessant, vous pouvez voir un édifice où sont symboliquement inhumés les disparus en mer. La veillée du mort est simulée lors d'une cérémonie appelée Proella (du breton "bro ella" : "retour au pays"). Elle se déroule chez la veuve, en lieu et place du corps perdu, on veille une croix de cire (qui porte aussi le nom de Proella). Celle-ci est ensuite déposée à l'église, et à l'occasion d'une cérémonie exceptionnelle, toutes les croix sont portées  dans cet édifice du cimetière.

Tout au long de nos côtes sont érigées des croix ou des chapelles comme celle de Saint Samson à Landunvez, chère à mon coeur puisque c'est là que ma fille a fait ses premiers pas (avec des galets dans les poches pour ne pas s'envoler), mais pas si miraculeuse qu'on pouvait l'escompter, car c'est juste en face qu'en mars 1978, est venu se briser l'Amoco Cadiz, vomissant sa cargaison noire et mortelle de pétrole brut. Je préférais les cauchemars d'antan...

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(Crédit photo)

Bon j'en arrête là, de cet étrange ordinaire de notre Bretagne, dont j'aurais pourtant bien plus à raconter. Tout comme je voulais vous dire quelques mots sur le récent mouvement des marins pêcheurs, ce sera pour la semaine prochaine, j'ai déjà été bien long!

Lisettes aux craterelles et aux figues

Ingrédients

- deux lisettes par personne
- craterelles
- figues fraîches
- crème épaisse
- sauce soja (dark)
- persil plat
- poivre noir
- sel

Les lisettes sont de petits maquereaux et les craterelles sont des champignons, mieux connus en tant que trompettes des morts ou cornes d'abondance (tiens, tiens... mort et renaissance, c'est donc un ingrédient de Samain). J'ai fait mon marché avec l'envie d'associer des ingrédients dans la même gamme de couleur, comme souvent je ne pars pas avec des idées préconçues, tout dépend du poisson que je vais trouver!

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A propos de couleur, savez vous que si les poissons ont le dos sombre et le ventre clair, c'est pour mieux se dissimuler des prédateurs. Attaqués par le haut, ils se confondent avec le fond, et traqués par le bas, ils se fondent dans la lumière. De même que si leur flanc est souvent coloré avec des éclats métalliques, c'est pour ébahir les voraces. Le maquereau en est un exemple typique, lorsqu'il se déplace en banc à grande vitesse (c'est l'un des plus fameux nageurs qui soient), l'ensemble génère une telle lueur qu'elle désoriente les chasseurs.

Recette

Commencez par nettoyer les champignons, ceux-là je n'hésite pas à les laver à grande eau, afin d'éliminer débris et insectes qui sont logés en leur creux. Mettez les avec une cuiller d'huile et une pincée de sel à chauffer vivement sans couvercle. Arrêtez le feu lorsqu'il ne reste presque plus d'eau dans la poêle. Pendant ce temps, levez les filets des maquereaux, c'est le poisson le plus facile à fileter, aucune excuse de ne pas le faire soi-même! Prenez bien soin d'ôter la pellicule sombre de la cavité ventrale, qui est amère. Mettez les à mariner environ trente minutes dans un peu de sauce de dark soja. Hachez une poignée de persil plat.

Placez les filets de maquereau (égouttés de la sauce soja) sur une plaque antiadhésive, genre plaque à pâtisserie, le côté de la peau au dessus  et passez les cinq minutes à four chaud. Pendant ce temps-là, vous réchauffez les craterelles avec un un peu de crème fraîche. Poêlez également les figues coupées en deux dans la longueur, quelques secondes côté chair, puis ensuite doucement côté peau le temps que réchauffent les champignons et cuise le poisson.

Une fois le poisson cuit, passez la peau au chalumeau de façon à la rendre gaufrée et légèrement croustillante, puis dressez en assiette chaude en terminant par le persil pour égayer la tombe. Ci dessous, je m'aperçois que j'ai involontairement donné la forme d'un homard aux filets de poisson: on ne se refait pas!

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Cette recette, selon Sylvie, aurait dû très mal se terminer. Figurez vous que je n'avais pas de chalumeau à la maison, et qu'au fond de ma Bretagne, aucune idée de l'endroit où on peut trouver ces gros briquets pour bac à sable et crème brûlée réunis. Je suis donc passé dans un magasin de bricolage (endroit où je n'entre habituellement jamais), et j'en suis ressorti avec un truc qui me semblait anodin. Lorsque j'ai voulu l'allumer à la flamme de la gazinière, et bien çà a carrément éteint le feu, et cela trois fois de suite. Il paraît selon Sylvie, qui est le Mc Gyver de la maison, qu'il ne faut jamais allumer un chalumeau (qui n'est par ailleurs qu'un dromaludaire à deux lubosses) directement à une gazinière, sous peine d'exploser. Vous vous rendez compte que ce centième billet de CdM aurait pu ne jamais être écrit?

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Nous avons bu du vin rouge, un Saint-Chinian du Domaine de Tabateau, je n'ai pas photographié la bouteille, d'où un léger déficit de précision sur l'année, 2005 j'en suis à peu près sur, et sur le nom de la cuvée, genre "Lo Tabataïre", si quelqu'un de compétent pouvait me corriger... Aussi bien ce vin que le plat nous ont vraiment bien plu, je garde cette recette sans rien y changer (pour l'instant!)

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Commentaires
D
Je suis bien contente d'avoir attendu d'avoir le temps. Je ne suis pas contente que ce soit déjà fini. Encore ! Si. <br /> <br /> Je suis heureuse aussi d'être venue un peu plus tard que les autres, toute seule, c'est mieux, j'ai même frissonné. J'aime beaucoup "l'étrange ordinaire", c'est tout à fait ça qui me passionne, quand le surnaturel frôle le quotidien, quand tout se mêle, comme les morts qui s'approchent des feux des vivants, ces morts à qui on continue de faire une place. Il faudrait que j'écrive là-dessus. <br /> <br /> Et... et la recette me botte fortement, c'est donc tout bonus. Merci.<br /> <br /> <br /> <br /> merci, mais je le rappelle : encore.
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G
J'ai reconnu la fontaine de St Laurent mais j'ai<br /> trouvé le fantome un peu maigri !!!
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M
J'étais déjà passée sur ce blog (vous aviez repéré une photo de l'Aber Wrac'h sur le mien), puis je l'avais oublié ... c'est un tort ! Et là je le vois dans la page d'accueil de canalblog (félicitation !) et je viens de passer un bon moment avec cette page (en la peu recommandable compagnie de l'Ankou !...). Merci
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M
J'aime que l'on me raconte des histoires mais je n'aime pas celle qui se termine avec des figues :(<br /> <br /> Mais comme tu n'as pas sauté en tentant d'allumer le chalumeau, j'attends avec impatience la prochaine histoire.
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P
On en apprend toujours des choses chez toi ;-)<br /> grazie captain
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