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Cuisine de la mer
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11 juin 2010

Salade de légine fumée aux groseilles

Aujourd’hui je n’ai pour vous ni jeu de mot, ni texte plus ou moins inspiré, mais seulement une histoire de poisson qui me plait énormément.

La légine, peu d’entre nous savaient il y a peu quel était ce poisson, j’en connaissais le nom, sa réputation de saveur, mais je désespérais d’en manger un jour en France, alors qu’il constitue depuis plusieurs années déjà le fleuron des grandes tables asiatiques. Jusqu’à ce que je le rencontre à Paris à la carte de restaurants japonais, d’abord chez Issé qu’on ne présente plus, mais aussi depuis l’été 2009, au Kiyomizu, ma cantine chic lorsque je veux me faire plaisir avec de la très bonne cuisine japonaise.

J'ai poussé la conscience bloggossionnelle jusqu'à m'y rendre mercredi dernier pour photographier (de mon téléphone, la qualité n'est pas terrible) l'assiette : la légine est marinée dans du miso, du mirin et du saké avant d'être grillée. je ne remercierai jamais assez Caroline Mignot de m'avoir fait découvrir très tôt ce restaurant tout proche de mon boulot grâce à ce billet.

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Un poisson des grands fonds

Je me demandais aussi si j’accepterais d’en manger. J’ai en effet une grande réticence à l’égard des poissons de grande profondeur (à partir de - 800 mètres), dont on a entrepris la pêche à grande échelle avec des chaluts particulièrement non-sélectifs, avant même de bien connaître les stocks et la biologie des espèces prélevées. Or on sait que les animaux de profondeur ont un cycle de reproduction plus long dans cet environnement particulier. Ainsi la légine ne se reproduit-elle qu’au bout de 10 années de vie, ce qui est très tard dans le monde des poissons.

Elle a été découverte voici trente ans environ, dans les profondeurs des eaux antarctiques. Elle aime l’eau froide très froide même.  Son organisme produit un antigel naturel et elle peut ralentir considérablement son rythme cardiaque, ce qui en fait un sujet de choix pour les chercheurs en santé humaine.

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Sa chair est délicieuse, grasse sans excès, feuilletée mais homogène, fondante et d’un blanc pur. Très vite la demande devint importante et les tarifs grimpèrent en conséquence (sans toutefois atteindre ceux fantasmagoriques de certains thons rouges), ce qui attira des braconniers de la pêche, agissant généralement sous pavillon de complaisance. Dès 2003, la côte d’alerte sur les populations de légine fut atteinte, d’autant qu’un fort prélèvement avait lieu sur les populations juvéniles, car avant leur maturité sexuelle, les légines vivent à une profondeur moindre où ont peut les capturer avec des moyens plus légers.

Un poisson désormais proprement pêché

Vous n’en avez encore jamais vu sur les marchés de métropole, mais la France est pourtant le premier pêcheur de cette espèce (en fait il y a deux poissons commercialisés qui portent le nom de légine, celui qui nous intéresse ici est la légine australe ou dissostichus eleginoides, dont le portrait figure ci-dessus).

Le quota mondial pour la légine australe est de 1800 tonnes annuelles, dont la France se voit attribuer le tiers. L’exploitation se fait dans les TAAF (Terres Australes et Antarctiques Française), autour des îles Crozet et Kerguelen qui sont situées dans les Cinquantième Hurlant, à environ six jours de mer de La Réunion où est basée la flotte des pêcheries qui opèrent dans la zone. En valeur marchande, la pêche de la légine est la seconde en France, après celle du thon rouge qui pourrait toutefois perdre sa suprématie en raison des graves problèmes de ressource qu’il connait aujourd’hui.

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A partir de 2003-2004, on commença à vraiment éradiquer la pêche pirate dans la zone (alors que la pêche des navires français avait débuté en 1990 et sa réglementation stricte mise en place en 1996) , avec des navires de guerre bien entendu, aidés par l’observation spatiale. Des satellites observent les surfaces réfléchissantes des navires, ainsi que les émissions de leurs balises Argos, les intrus en pêche sont dès lors facilement repérés. Cette surveillance a porté ces fruits (si je n'avais pas promis d'être sage aujourd'hui, j'aurais ajouté qu'on ne lésine pas pour la légine).

De leur côté, les pêcheurs ont adapté leur technique de pêche, le chalut est proscrit au profit de la palangre. Les palangriers actuellement au nombre de sept et appartenant à cinq armements différents, ont été mis en chantier à partir de 2000, ce sont donc des navires très modernes. Ils utilisent des palangres de fond, où les centaines de mètres d’une ligne porteuse d’hameçons, reposent sur le sol marin.

Elles y restent de 12 à 24 heures puis sont remontées à partir d’une chambre ouverte dans la coque du navire. Les légines sont alors éviscérées, lavées puis congelées à bord, tout ceci sous la surveillance d’un contrôleur embarqué sur chacune des unités (familièrement appelé le "copec"). Vous pouvez trouver tous les détails de cette pêche, ainsi qu'une vidéo ici, sur le site de l’un des armateurs.

Poussant la logique d’une démarche encadrée et durable, les pêcheries de légine de La Réunion sont en passe si ce n’est déjà fait, de se faire labelliser MSC (Marine Stewardship Council), un label international, pour l’instant surtout bien diffusé dans les pays anglo-saxons (encore qu’on commence à le trouver sur nos étals).

N’empêche que rien n’est jamais simple en mer

On peut se sentir optimiste devant ces pratiques, comme devant la gestion du cabillaud dans les pays scandinaves, tout en se demandant, par exemple, pourquoi l’Europe n’est pas capable d’en faire le dixième en Méditerranée pour le thon rouge. Cela dit, la partie ne se joue pas qu’entre l’homme et la légine.

- Il faut compter avec les oiseaux de mer (pétrels et albatros, princes des nuées de ces latitudes) qui se précipitent sur les appâts des palangres, en particulier lorsqu’on les met à l’eau, ce qui fait que beaucoup sont noyés entrainés au fond par l’hameçon. Ce n’est pas anecdotique, on note toujours une très sensible diminution des populations d’albatros là où des palangriers sont à l’œuvre (ceux d’entre vous qui ont déjà péché au vif ou au leurre, ou en remontant leur prise, se sont déjà vu au moins une fois confrontés à une attaque d’oiseau de mer, par expérience, je peux vous certifier que c’est une forme de corrida que d’ôter un hameçon du bec d’un goéland ulcéré…). Pour remédier au moins partiellement à cette hécatombe, la principale contre-mesure consiste à mouiller les palangres de nuit.

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Crédit Photo

- Les pires sont les cachalots, les orques et un peu les otaries. Les cachalots, passe encore, capables de plonger à de très grandes profondeurs, la légine a toujours fait partie de leur ordinaire, qu’il en pique quelques unes de plus sur les palangres n’est pas incohérent. Les orques ont bien perçu l’aubaine. Lorsque les navires remontent les palangres, c’est la curée, ils viennent se nourrir des prises, ne laissant plus que la tête (et donc l’hameçon) au pêcheur. Et comme ils ont des facultés mentales très supérieures à celles d’un mangeur de surimi, ils enseignent le procédé à leurs jeunes. On estime que les cétacés prélèvent environ 40% des quantités pêchées, ce qui n’est vraiment pas tenable.

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Crédit Photo

Trois solutions sont envisageables, la première consiste à contrôler la population des orques, en clair de les massacrer comme le faisaient il y a encore peu les pirates de la légine. Il y aurait aussi « un certain mouvement donné à la palangre quand on la remonte » qui découragerait les orques, mais à mon avis, ils vont apprendre très vite à s’y adapter. Enfin il y a la pêche aux casierx, ces derniers posés au fond et dans lesquels la légine piégée serait à l’abri des convoitises. Cette technique de pêche est actuellement pratiquée à titre expérimental.

- Oui, mais il y a les crabes. Ceux-ci bien entendu pénètrent dans les casiers attirés par la boette, et personne n’a jamais réussi jusqu’à présent à convaincre une légine bien élevée d’entrer dans un casier déjà occupé par un crabe… On cherche une solution, mais je crains que devant ce sans-gêne de la faune à l’égard des pêcheurs, comme en raison du fait qu’un  palangrier n’est pas un caseyeur (d’où des investissements importants à prévoir pour la conversion) et grâce à l’augmentation régulière et vérifiée des populations de légines, on en vienne à ré-autoriser le chalutage de grand fond…

Là où je ne l’attendais pas

Figurez vous que j’ai pu acheter de la légine il y a peu, précisément  au Salon Saveurs. Vendue par des gens du grand sud, Les Salaisons du Golfe, une entreprise de saurisserie très talentueuse située à Landevant (quelque part dans le Morbihan entre Lorient et Auray). Des gens sensibles à la consommation responsable également, par exemple ils ne fument que du saumon sauvage. Je ne passe jamais par ce salon sans m’arrêter à leur stand faire quelques emplettes, notamment de haddock et de maquereau fumé qui sont exceptionnels. C’est là que je vois « légine fumée ». Je goûte comme goûtent les deux copines blogueuses (Paprika et une qui ne veut pas que son mari le sache) qui m’accompagnaient, on juge cela délicieux, on discute un peu, pour apprendre qu’il s’agit de légines pêchées à Saint-Pierre et Miquelon.

J’ai souvent tendance à la ramener lorsqu’il s’agit de produits de la mer, mais là je me suis tenu coi, pas saborder mon image auprès de mes copines qui considèrent que ne me manquent qu’un  trident et une queue de mérou pour incarner Poséidon en personne. N’empêche que je n’en pensais pas moins, de la légine australe du côté de Terre-Neuve, soit on se moque de moi ou de la géographie, soit j’ignore un truc, les trois  hypothèses m’étant également pénibles.

C’est ainsi que je me trouvais à servir cette légine fumée pour la fête des mères, et de ma belle-mère aussi….

Salade de légine à la groseille

Ingrédients

- un filet de légine fumée
- une botte d’asperges des bois
- 500 grammes de fèves fraîches
- une barquette de groseilles rouges
- crème fraîche
- poivre blanc
- fleur de sel

J’aimerais assez qu’on cesse de confondre asperge des bois et asperge sauvage, cette dernière est un véritable asparagus, alors que l’asperge des bois (ou aspergette), est de la famille des liliacées.

Recette

- Coupez le bas de la tige des asperges des bois pour les égaliser, puis plongez les trente secondes dans une eau bouillante bien salée. Trempez-les aussitôt dans de l’eau glacée.

- Ecossez les fèves, et trempez-les dix secondes dans de l’eau bouillante (la même que celle des asperges, ne gaspillez pas), puis également aussitôt dans de l’eau glacée, ainsi la petite peau qui entoure les graines s’enlèvera facilement. En fonction de leur taille vous les laisserez entières ou vous séparez les cotylédons.

- Egrappez les groseilles, réservez la moitié pour les assiettes, et extrayez le jus de l’autre moitié en les foulant  du dos d’une cuiller dans une passoire fine. Mélangez le jus obtenu à de la crème fraîche épaisse (2/3 jus, 1/3 crème).

- Coupez le filet de légines en tranches de quatre à cinq millimètres.

- Pour le dressage, disposez les asperges des bois en treillis, et disposez par-dessus une poignée de fève. Au moment de servir, ajoutez un peu de crème au jus de groseille, quelques groseilles entières, un peu de fleur de sel et de poivre blanc, puis les tranches de légine par-dessus le tout.

Merci à ma fille préférée pour son stylisme graphique lors de la composition  des assiettes.  

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Vous pouvez à défaut de légine réaliser cette recette avec du flétan fumé, ce dernier est facile à trouver.

La légine australe en tant que poisson frais n’est pas encore sur le marché de la grande consommation en France, elle est pour l’instant principalement réservée au restaurateurs, qui peuvent s’approvisionner au Métro Intra Muros (108 rue des Poissonniers, Paris 18ème). Les particuliers peuvent cependant parfois en trouver chez Issé et Cie (11 rue Saint Augustin, Paris 2ème).

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Sinon, surveillez-son apparition sur la carte des restaurants, c’est par ce biais que les pêcheries souhaitent l’introduire auprès des consommateurs français, très conservateurs sur le plan des espèces de poisson qu’ils consomment. C’est ainsi que les poissons de profondeur se sont peu développés sur les étals, et c’est tant mieux. Le nom parfois inquiète, ainsi le béryx a été boudé jusqu’à ce qu’on le nomme empereur, sans doute pour faire le pendant au grenadier. Je ne mange pas de ces deux derniers poissons dont la pêche est encore sujette à caution.

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Commentaires
A
bonjour,<br /> <br /> et on la trouve où la Légine ?<br /> <br /> Pas trop fan des filets, par contre les joues… et comme pour les filets, à part n'importe quelle gde Surf de la réunion, on en trouve où en Métropole ?<br /> <br /> Merci
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J
C’est vrai, la pêche c’est comme une drogue, un après midi avec votre canne et ensuite tu passe ton temps à regarder ton calendrier et tu commence à penser aux prochaines vacances, moi il faut que j’attende le mois de mai 2013, en attendant je cherche les loups dans la méditerranée sans résultat.<br /> <br /> Je choisi mes leurre chez Artisan Ficheries et je l'ai trouve très professionnel avec des prix raisonnable.<br /> <br /> <br /> <br /> Que pensez de la pêche à la palangre?
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C
Magnifique ! Donc voila, j'en sais plus sur la légine et ça y est j'ai faim :) Si j'ai tout bien lu tu dis donc qu'ils en ont parfois du frais chez Issé, je passerai voir. Par ailleurs je note précieusement Les salaisons du Golfe (et merci pour hier, c'était parfait même sans Légine) !!
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S
Oui, bien instructif, ce billet sur la Légine. On m'en offre demain (surgelé) ;) Je crois que la France a un quota de 5000kg.<br /> Je suis bien contente de retrouver ton blog aux recettes si appétissantes. Tu étais passé sur ma galère à propos d'un billet sur les Ormeaux et France Haliotis; les adversaires du projet d'agrandissement de la ferme viennent de le commenter.<br /> Je continue plongée et photos sous-marines aux Philippines...
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L
… embarquait sur le palangrier des Mousquetaires. On en trouve donc parfois au rayon surgelé de cette enseigne. Lors de sa dernière marée, Charles Véron a réalisé un film sur cette pêche :<br /> http://www.pecheursdumonde.org/Sam-13-mars-15H30-Poste-a-bord.html<br /> <br /> D'autres recettes dans le premier carnet d'Alban de Chateauvieux :<br /> http://albandechateauvieux.com/slideshow.asp?galerie=Carnets<br /> <br /> Par contre, je n'en ai jamais mangé "fumé"
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