Ventrèche de thon rouge grillée au gingembre et au sansho

Je crains fortement de me prendre un bide avec cette recette de ventrèche de thon rouge, entre les diététiciens et les partisans de l’interdiction totale de la pêche de cette espèce, je sens que ça va être le défilé des pères fouettards.

Mais tant pis j’assume. Le débat est infini entre les pêcheurs qui pensent que les quotas pourraient être augmentés, les écologistes qui militent pour une interdiction totale, les scientifiques divisés sur les méthodes de comptage, et les états pour laquelle la pêche est un enjeu économique comme un autre, un élément d’une politique globale, modulable et échangeable.

J’ai tendance à croire les scientifiques, même s’ils ne sont pas d’accord entre eux, une majorité nette se prononce pour un maintien voire une diminution des quotas. Je peux aussi comprendre les problèmes des pêcheurs français, qui se comportent généralement honnêtement et sont en tout cas bien "surveillés".

Tandis que compte tenu des importants enjeux financiers, la contrebande et le marché noir prospèrent, que les fermes d’engraissage qui prélèvent de jeunes thons bien avant leur maturité sexuelle pour les parquer se développent sur les rivages méditerranéens, beaucoup en Espagne, qu’après les pavillons de complaisance pour des raisons de droit du travail, nous découvrons ceux qui existent pour contourner les quotas de pêche. En Méditerranée, la Lybie et la Turquie sont en pointe sur cette activité.

Je comprends dès lors la frustration des pêcheurs français, comme j’exprime la mienne de payer des impôts pour compenser les efforts de quota pour du poisson que je ne mange presque pas, la plus grande partie est exportée au Japon, les thoniers de Sète s’en sont fait une spécialité.

J’ajoute aussi que je suis fatigué des incessants rappels à la morale de comportement  sécuritaire, pour le nommer, au fameux principe de précaution dont on nous rince les écoutilles à la moindre occasion. On transforme ainsi un peu plus sous couvert de vertu planétaire, les consommateurs en troupeau conditionné, tout le monde bêlant et répétant rumeurs et fadaises, sur  le même thon péremptoire de sauveurs du monde qu’ils emploient lorsqu’ils exigent de la nourriture bio pour leur poisson rouge. 

Si bien que lorsque je suis tombé inopinément sur un beau morceau de ventrèche de thon rouge l’autre jour au marché, je n’ai pas hésité longtemps, d’une part je voulais faire connaître cette découpe exceptionnelle à ma famille, d’autre part en regardant dans le rétroviseur, je me suis aperçu que je n’avais pas cuisiné de thon rouge de toute l’année.

La vraie clé de la sauvegarde des espèces de poisson menacées est, je pense l’écrire ici pour la centième fois, de diversifier celles qu’on mange, et de ne consommer que de façon exceptionnelle celles qui sont vraiment en danger. Après tout, si un quota est autorisé à la pêche, je suppose qu’il est aussi pour la consommation…

Mots de ventre

Il faut que je vous fasse un aveu horrible, je me suis mis au régime, pas le truc Ducon ou je ne sais quelle autre martingale universelle dont les effets pervers ont largement été commentés dans les médias, mais un vrai truc (provisoirement) envisagé à long terme, avec un vrai médecin qui connait bien le ventre à pattes, option gosier en pente, que je suis.

Bref, protéines et légumes verts sont devenus mes deux mamelles, avec le moins de glucides possibles et pas d’alcool (sachant toutefois qu’il faut un minimum de sucre pour faire fonctionner le cerveau et garder le moral, deux attributs dont je ne peux me passer très longtemps, je me signe quelques infimes dérogations). Régime que je m’impose car justement, j’ai le ventre en panne et réciproquement, de la panne au ventre…

Tout cela pour poser une question, comment se fait-il que la graisse se concentre sur le ventre, et même quasi exclusivement là lorsqu’on est un garçon, et pas dans les pieds par exemple, parce que là, ce serait facile, on change de pointure de chaussure, et ni vu ni connu.

Thongues

Prenez le thon par exemple, la chair du ventre, ou ventrèche comme on la nomme dans le sud de la France, est la plus grasse. Selon la partie, la proportion de gras y varie entre 30% et 38%. Bref, nettement plus qu’une tartine beurrée (à l’exception notable de celles que me préparait ma grand-mère lors de mon enfance bretonne, desquelles on ne découvrait qu’un peu de pain qu’une fois avoir croqué dedans).

C'est un pourcentage de matière grasse supérieur à tous les fromages (du moins depuis le Décret de 2007 qui n’oblige plus à indiquer la proportion de matière grasse de la matière sèche, mais de l’ensemble du produit, quelle que soit la quantité d’eau qu’il contient), et se compare à la crème fleurette qui doit contenir au moins 30% de matière grasse pour être vendue sous ce nom… Le saucisson sec et les rillettes, c’est 40% et le chorizo peut atteindre 45%, c'est-à-dire autant que le foie gras, pas étonnant que ce soit bon. 

Oui mais m’objecte-t-on, c’est de la bonne graisse, bourrée d'oméga divers, excellente pour la santé, le cholestérol, le cancer et la mélancolie pernicieuse. Oui mais, c’est dans la graisse des poissons que se logent les toxines, polluants et métaux lourds, et les plus gros des poissons gras, en bout de chaîne alimentaire juste avant l’homme, stockent tous les polluants ingérés par les proies successives de cette chaine.

Cette simple information devrait dissuader n’importe qui de manger trop souvent de ces géants gras, le thon bien sûr, mais aussi le marlin, l’espadon, etc. Je me fais au passage la réflexion pathétique que c’est le fait qu’ils soient de plus en plus pollués qui va peut-être sauver ces magnifiques poissons de la voracité de certains. 

Bref, cette découpe de thon est ce que dans le reste du monde on nomme le thon gras, le toro pour les japonais qui en sont friands, il faut reconnaître que c’est un magnifique sashimi, et le gras thon à Lyon, m’a-t-on dit.

Ventrèche de thon rouge grillée au gingembre et au sansho

Ingrédients

- un morceau de ventrèche de thon rouge 
- gingembre frais ou pâte de gingembre 
- poivre japonais "sansho" 
- sauce de soja claire
- mirin
- radis noir 

La pâte de gingembre se trouve en bocaux dans les épiceries indiennes, elle se conserve longtemps au frais, et vaut largement mieux que le gingembre en poudre. Le poivre shanso n'est pas plus un poivre que celui du Setchuan; il en est un très proche cousin, mais la saveur de celui qu'on trouve en magasins japonais est incomparable. Il en existe des crus, selon la région et l'âge des arbres d'où on le récolte.

Recette

Commencez par parer soigneusement le thon en ôtant les parties dures le long du morceau, et en supprimant la paroi qui adhère à la chair. Vous découvrez alors à quel point cette chair est veinée de gras blanc, persillée même.

 

Il convient ensuite de le trancher dans sa largeur, pour le portionner comme de petites côtelettes, sans os et même sans arêtes. Un fois cette opération accomplie, frottez le d'un peu de poivre sanshoo et de gingembre frais râpé, sans excès. Ajoutez autant de mirin que de sauce soja claire, et laissez mariner une bonne heure. 

J'aime servir les poissons gras avec un élément corsé, vinaigré éventuellement, en cette saison le radis noir s'impose, mais son âcreté est  un peu trop marquée. Pour cette raison, je l'ai pelé, coupé en tranches très fines et laissé mariner deux heures avec du sel et du vinaigre de cidre. 

Il faut griller le thon juste avant de le servir. Pour cela, égouttez-le de la marinade, sans l'essuyer, et passez le rapidement sur les deux faces sur une plancha chaude, mais pas brûlante. Il est important de le tenir cru à coeur, pour bien en éprouver tout le fondant à la dégustation.

Aux heures fastes, je l'aurais accompagné d'un bol de riz cuit à la vapeur, mais régime ou pas,  j'ai obtenu un satisfecit de mes convive avec un wok d’échalotes et de brocolis, assaisonnés de nam pla et d'une pincée de cinq-parfums, auxquels j'ai ajouté quelques amandes coupées au couteau, peu avant la fin de cuisson.

Je dois avouer que ma femme et ma fille se sont tellement régalées (et moi donc!), que je n'ai pas du tout regretté cet écart à mes principes, et décidé de vous le faire partager. De plus, la grillade lui a quand même fait perdre un peu de gras!

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Comments

[Isa-Marie]

Bonne résolution... J'ai pris la même.
Une ventrèche de thon rouge par an, voilà qui est raisonnable...
Amitiés d'Isa-Marie

[C Framboise]

PS : Je crois que Boljo se trompe c'est pas Ducon qui est mort, mais Moncon. Méfiance donc. Je recommanderais volontiers un régime japonais.
Merry Christmas

[C Framboise]

Merci d'être passé . Je préfère l'akami pour ma part. Même ici on trouve moins de thon dit rouge (tropical?) qu'il y a quelques années. Cela m'ennuie évidemment, égoïstement mais est-ce si grave... Le mammouth a disparu et tout le monde s'en fout

[alhya]

fair enough ;-)

[Patrick CdM]

- Birgit, en fait, il faut arriver tôt chez un poissonnier qui débite un thon entier, généralement le samedi.
- Lili, il y a quand même des choses scandaleuses qui méritent d'être boycottées, comme le bar en période de frai, le surimi, etc... Le thon rouge sous quota surveillé, un peu c'est bien possible!
- Boljo, merci de ce long commentaire, tu as raison, j'ai déjà attaqué le foie gras le WE dernier, j'en parleari normalement dans mon prochain billet (il y avait aussi des coquillages au menu)
- Gracianne, t'inquiète pas, ce sont presque tous les bons poissons qui sont dans ce cas.
- Karim, ça leur prend environ tous les deux mois, merci de me prévenir à chaque fois.
- Alhya, neuf mois de régime, c'est bien long, d'autant que je croyais plutôt que nous avons été équipés d'un autre gadget à géométrie variable en compensation de la frustration de ne pas vivre de maternité.