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Carpaccio de coquille saint-jacques à la truffe brumale
Je me souviens de ces après-midi d'hiver, où le front humide de la buée d'un petit carreau de fenêtre, je regardais la campagne et la mer perdre leurs couleurs, se transformer en image noire et blanche, avec toutes les nuances des gris, du plus perlé au plus souris. Dans un coin de ma tête résonnait souvent la chanson de Gilles Servat, chantant son beau pays par l'hiver blotti et espérant le retour de l'hirondelle, blanche au ventre et noire aux ailes.
Au fond de l'aber, la marée basse découvre des vases luisantes, aussi sombres que du plomb, où quelques mouettes blanches à tête noire semblent attendre la mort ou le printemps, frissonnant sous de sournoises risées.
Je me souviens de ces paganiz au kabig blanc et de leurs femmes aux sabots et aux sarreaux noirs, surmontées de cheveux gris et de coiffes immaculées, de leurs sourires brillants et de l'éclat métallique de leur regard penché vers l'eau au fond du puits de pierre, aussi sombre et luisant que l'encre des encriers de mon enfance déjà fascinée par l'écriture, par de l'encre noire sur une feuille blanche aussi vierge qu'un terrain de jeu.
Je me souviens de ces grands rochers noirs éclaboussés de ciel d'argent en fusion et de flocons d'écume blanche, du goudron fondu des calfats et des lettres blanches sur les coques noires des goémoniers. Je me souviens de ces vieilles coquilles délavées et blanchies par le ressac et des os de seiche arrimés aux goémons noirs de la laisse de mer, des sables blancs voisinant avec des roches noires sur les plages qui roulent.
Je me souviens des Montagnes Noires, de leurs étangs encore plus sombres où je voyais régulièrement glisser les silhouettes laiteuses des enchanteurs, celles de Viviane et de Merlin. Je me souviens des fantômes hurlants d'arbres noirs qui hantaient mon chemin lorsque j'allais chercher le lait des pies-noires de Bretagne à la ferme voisine, dans une grange enfumée à peine éclairée, avec les seaux quasi phosphorescents de la traite du soir.
Je me souviens d'anges blancs et d'âmes noires, de mariées et de femmes en deuil, de toute ma Bretagne en noir et blanc d'hiver, où néanmoins les couleurs sont si fondues, où la lumière rasante et pâle souligne avec éclat chaque détail du pays, chaque éclair de prunelle et chaque chemin intérieur.
Gwen ha du, noir et blanc en breton, c'est aussi le nom que nous donnons à notre drapeau bicolore, copié dans les années 20 par quelques nationalistes sur le modèle du drapeau américain. Peu de pays ont un drapeau en noir et blanc, je ne vois d'autre que la Corse et la Cornouaille britannique.
L'hermine y est noire, tandis que celle de la légende était blanche. "Plutôt la mort que la souillure" c'est la devise de la Bretagne, suite à une histoire de chasse de l'un de nos ducs, qui traquant en hiver une hermine, a été frappé qu'elle préfère se jeter et se noyer dans une rivière plutôt que d'être prise par les chiens. C'est alors qu'il l'a adoptée comme emblème de son duché.
Cuisine en noir et blanc aujourd'hui aussi, mais ni blé noir ni froment, des coquilles saint-jacques et des truffes. Cela dit, si vous préférez continuer à voir des cartes anciennes du Pays des Aber, rendez-vous sur mon vieux site cadour.net !
Carpaccio de coquille saint-jacques à la truffe brumale
Ingrédients
- coquilles saint-jacques
- truffe brumale
- mâche
- huile d'olive
- huile d'olive au citron
- vinaigre de banyuls
- poivre noir
- fleur de sel
La truffe brumale (tuber brumale) est une cousine de la truffe noire la plus recherchée (tuber melanosporum), bien moins côtée mais délicieuse quand même. Son odeur comme sa saveur sont plus discrètes, mais marquées par le musc, ce qui en fait selon moi une partenaire parfaitement adaptée aux produits de la mer, et singulièrement pour ce carpaccio qui est un classique. Ci dessous les deux espèces de truffes si faciles à confondre pour l'amateur avant de les couper, la brumale à gauche et la melanosporum à droite.
Recette
Plus simple il n'y a pas, le seul impératif est d'être muni d'un couteau très bien aiguisé.
Ouvrez les coquilles saint-jacques, ne conservez que les noix que vous lavez et séchez soigneusement. Tranchez les en fines escalopes, que vous enduisez d'huile d'olive.
Après l'avoir soigneusement brossée, coupez également la truffe en finnes rondelles. Il n'est pas utile d'utiliser une mandoline à truffes, les tranches doivent êtres fines, mais pas diaphanes, il vaut mieux en mettre moins un peu plus épaisses, pour bénéficier de leur croquant.
Disposez en assiette, et parsemez de poivre noir et de fleur de sel. Ajoutez un peu de mâche, assaisonnée de vinaigre de banyuls, d'huile d'olive cotronnée, de sel fin et de poivre noir.
Le mélange est merveilleux, ma femme et ma fillle pour qui je l'ai préparé comme l'une des entrées de notre repas de réveillon, l'ont adoré et nettement préféré à ma version aux ormeaux, où elles avaient été un peu rebutées par la texture assez élastique de ces derniers.
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