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Cuisine de la mer
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6 novembre 2016

Bouillon d'étrilles aux nouilles de riz

Le livre le plus attendu (par moi en tout cas) de cette rentrée littéraire autant que culinaire, est un monument dédié aux nouilles asiatiques, je vous en parlerai en détail ci-dessous, mais auparavant, il me paraît opportun de vous entretenir du destin de la nouille au long des siècles, un aspect de la question quelque peu négligé par ce livre, mais il s’agit d’un livre à manger, pas à gloser.

Livre1

La nouille à la conquête du monde

La nouille est la plus noble conquête de l’homme, inventée probablement en Chine, à partir de farine de millet, croit-on savoir. Auparavant, les céréales étaient seulement consommées bouillies, ou sous forme de galettes plus ou moins épaisses, cuites sur des pierres à l’âge de la pierre, sur des plaques de fer à l’âge du fer, et séchées au soleil à l’âge des bronzées.

- Le petit dernier de la famille Wu faisait le désespoir de ses parents, car il n’aimait pas les galettes pourtant fines que sa mère confectionnait avec amour, et il passait des heures avant de se résoudre à les manger. Un jour où il était particulièrement contrarié, il se mit à déchirer sa galette en lanières, pour bien montrer qu’il réprouvait qu’on le forçât à ingurgiter cette nourriture frisbee.

Son père, une fois chassées ses idées de massacre, compris tout de suite l’intérêt de l’affaire, et il se mit à commercialiser des rubans de galette, qui connurent rapidement un très grand succès.

- La version vietnamienne diffère évidemment, puisque cette tradition prétend que c’est la cadette de la famille Nguyễn qui fut à l’origine de cette invention qui devait révolutionner le monde, et faire la fortune des lavandières.

La petite, au lieu de manger son riz en quelques coups de baguettes magiques, se mit à en aligner les grains à la droite de son bol, de façon à créer une ligne de séparation entre elle et son frère, lequel était gaucher et manquait à chaque instant de l’éborgner en agitant ses propres baguettes.

Son père fronça les sourcils, car il détestait qu’on jouât avec la nourriture, puis l’idée de créer un très long grain de riz lui vint à l’esprit, il s’empressa de la mettre en application. Il obtint également un très grand succès, la « bordure de nouilles » entra même dans le langage courant pour désigner chance et bonne fortune.

- Les japonais ne prétendent pas avoir inventé la nouille, mais de l’avoir sophistiquée au point d’en faire une quintessence de la nourriture civilisée et populaire, mais une anecdote doit être contée.

Il y avait au nord un samouraï très puissant, aussi respecté que redouté, l’un de ces héros capables de trancher la tête à mille ennemis d’un seul coup de sabre, tout en pêchant à la ligne de l’autre main, et sans arrêter de hurler aussi fort que le vent glacial de son fief d’Hokkaidō.

Ce fauve n’avait qu’une faiblesse, il cédait tout à sa fille, la toute jeune Naomi. Or cette dernière raffolait des nouilles, servies de la façon la plus simple, nature avec quelques miettes de légume, ou baignant dans un bouillon aussi transparent que la neige pure fondant sur les cils d’un cygne royal. Elle voulut toutefois apporter un peu de variété à son ordinaire, et elle demanda à son papounet de contraindre son cuisinier à lui confectionner des pâtes en couleur, des brunes, des vertes, des roses, des jaunes, des noires. C’est donc à cause de cette Naomi qu’aujourd’hui on se sent paumé devant un rayonnage de nouilles japonaises. 

sakura

Curieusement, la nouille ne s’implanta pas, ou peu, dans la partie occidentale de l’Asie. La frontière passe par l’Indochine, on constate qu’à l’est de la péninsule, on consomme des nouilles (Vietnam), tandis qu’à l’ouest (Thaïlande) les plats de de nouille sont rarissimes, même si le brassage des cultures alimentaires a fait son effet. Le pad thaï par exemple est l’un des plats de la cuisine thaïe les plus connus, mais s’il est à base de nouilles, c’est parce qu’il émane de la communauté chinoise de Bangkok.

Les nouilles ont toutefois franchi les continents pour parvenir jusqu’en Europe, avec pour principal point de chute l’Italie. On aime à raconter là-bas que c’est l’explorateur Marco Polo qui les aurait pour la première fois rapportées de Chine, mais c’est une légende. Les nouilles sont venues à pattes, de chameau ou de chevaux, suivant l’itinéraire de la Route de la Soie : on en retrouve des avatars sur toute cette trajectoire. On a d'ailleurs retrouvé sous les cendres de Pompéi des machines à fabriquer des pâtes, alla carbonara je suppose. 

C’est aussi en Europe qu’on inventa la quenouille, cet instrument permettant de tréfiler les nouilles en partant d’une masse de pâte. Les pauvres ménagères passaient des heures à enrouler des nouilles en pelotes, qu’on mettait ensuite à sécher sur des fuseaux ; ce n’est que bien plus tard que la nouille électrique vint les soulager.

fuseaux
Nouilles de sarrasin et nouilles de froment

Bon, maintenant que vous savez l’essentiel, il est temps de parler de ce livre, incontournable pour qui aime les saveurs asiatiques, mais n’a jamais vraiment dépassé le stade des sachets de nouilles instantanées ou des gobelets de cartons de nouilles à emporter. Il faut secouer les nouilles !

Un lien de nouilles

Je connais assez bien, et j'aime beaucoup, les trois auteurs de ce livre, Chihiro Masui, Minh Tâm Trân et Margot Zhang, respectivement japonaise, vietnamienne et chinoise. On se côtoie depuis des années, virtuellement, mais tout autant autour de tables fantastiques, dans des restaurants, ou lorsqu'elles se mettent en cuisine, ces derniers moments étant parmi les meilleurs repas que j'ai fait, tant en raison des assiettes que des conversations aussi drôles qu'intelligentes. Il y a une véritable connivence autour des saveurs de leurs pays, qu'elles maîtrisent à merveille, et bien d'autres encore. Une cuisine d'origine, avec la simple sophistication des plats populaires appelés à une grande destinée.

Les nouilles jouent dans ce registre, et pas qu'en Asie ; chez nous on "mange des nouilles" quand on est impécunieux, mais à côté, il s'est développé une réelle gastronomie des pâtes, jusqu'à nous fourguer à prix d'or des plats à la poutargue, aux truffes noire ou blanche, etc.. Les plus riches achètent de célèbres marques artisanales italiennes, tandis que le vulgum pecus doit se contenter de pâtes industrielles de base, l'eussiez-vous cru ?

photo
Les noodles girls avec le photographe du livre, Taisuke Yoshida

J'étais présent par hasard voici treize mois, lorsque ces trois jeunes femmes aux talents multiples (et à l'appétit féroce), se sont rencontrées pour la première fois dans la vraie vie. Après les mondanités d'usage, la discussion s'établit à bâtons rompus, sur la nourriture évidemment, aussi ne fus-je pas surpris d'apprendre peu de temps après, qu'elles s'étaient réunies pour travailler toutes les trois à un livre, sur les nouilles.

Elles furent peut-être plus étonnées que moi de cette association, les relations entre leurs trois pays d'origine ayant été (et étant encore) parfois tendues, et ne prédisposant à une coopération franche et massive. Elles l'expliquent très bien dans cette vidéo, très joliment titrée "La diplomatie par les nouilles", tournée dans l'un de nos lieux gourmands préférés, le restaurant Botanique à Paris. 

C'est la plus grande leçon qu'il faut tirer de ce livre, avant même d'en faire un objet de plaisir gourmand. Cuisiner et partager la table avec des personnes d'une autre origine, voici l'une des meilleures armes contre le repli sur soi, le communautarisme et les ghettos. Plus trivialement exprimé, j'aime beaucoup cette phrase relevée par Jean-Marie Gourio dans ses Brèves de Comptoir, "Le pire, c'est la solitude, tu fais toujours une tonne de nouilles en trop." 

Ajoutez à cela leur degré d'expérience différent, Chihiro est un auteur connu internationalement, tandis que ce n'était que le second livre de Margot et le premier de Minh Tâm, mais tout s'est passé dans le plus grand professionnalisme, et la bonne humeur, chaque séance de travail se terminant par un banquet, à la française. 

Un livre de nouilles, rien que ça

Notre amie commune Claire Pichon a spontanément écrit sur Facebook à propos de ce livre "(...) En général, en France, un ouvrage culinaire estampillé "Asie" annonce une belle daube de fouillis de recettes occidentalisées à la hache - ici, c'est le contraire ! Ces trois formidables personnages ont une expertise rare des cuisines de leurs cultures d'origine. (...)".

C'est exactement cela. Les auteurs ont choisi de ne s'aventurer que sur des terrains qu'elles connaissent sur le bout des baguettes, à part de rares incursions dans d'autres pays, comme la Corée. Cela donne un échantillon très complet des différents types de nouilles de ces pays, et des recettes traditionnelles et authentiques où elles sont utilisées. 

Le livre est également très pédagogique, on est pris par la main dans cet univers très partiellement connu des occidentaux. Les différentes pâtes sont minutieusement décrites et photographiées, il y a des pas-à-pas pour apprendre à en fabriquer quelques-unes chez soi, ou confectionner des bouillons et des sauces. Les produits utilisés sont également photographiés, ce qui vous évitera une immense perplexité face aux rayons des supermarchés asiatiques.

Les tables de matière sont très astucieuses, organisées par céréale ou thématiques, si vous êtes végétarien ou intolérant au gluten, vous serez guidés. Enfin, il y a un carnet d'adresses, et si j'ai un reproche à leur faire, c'est de ne pas m'avoir demandé où s'approvisionner à Brest. Pour pallier cette inconséquence, voici mon adresse préférée dans cette ville : Lien Phat, 34 Rue du 8 Mai 1945, 29200, Brest.

Surtout, ce livre est un voyage, on est fasciné par la diversité des formes, des matières et des recettes, toutes superbement photographiées par Taisuke Yoshida ; vous rencontrerez ainsi les Yakisoba du Festival, les Fourmis Rampantes, entre de plus classiques pho, udon, et autres nouilles sautées. 

livre2

J'arrête là sinon je vais écrire plus long qu'elles trois réunies, encore que ce livre comprenne 150 recettes sur plus de 300 pages. C'est donc un gros livre, un pavé presque aussi lourd que les rochers que j'ai dû retourner pour attraper les crabes de la recette qui suit, on peut s'y plonger pendant des semaines.

Plus qu'une recette fusion, c'est aussi une recette de voyage et de métissage, avec des ingrédients de Bretagne et d'Asie, que j'ai bricolée à partir du traditionnel bouillon au crabe et au gingembre de l'île Maurice. 

Bouillon d'étrilles aux nouilles de riz

Ingrédients

- 1,5 kg d'étrilles
- 2 litres d'eau
- un rhizome de gingembre
- vin de Shaoxing
- casse ou cannelle
- poivre noir

- nouilles de riz bo bun Hué
- araignée de mer
- oeufs
- tomates
- ciboulette thaïe
- coriandre fraîche
- nuoc-mam
- piment frais
- citron vert

Préparez le bouillon la veille. Concassez les étrilles (encore vivantes, et oui), avec votre hachoir, cette opération a pour but de permettre aux saveurs de mieux s'exprimer dans le bouillon. Mettez les morceaux à rissoler dans un mélange de beurre et d'huile, ajoutez un gros morceau de gingembre (lavé et non pelé) coupé en rondelle. Mouillez d'un grand verre de vin de Shaoxing, poivrez et salez légèrement, ajoutez un morceau d'écorce de casse ou de cannelle (pas trop pour cette dernière qui est très puissante), et versez l'eau. 

Cuisez à petit bouillon pendant deux heures au moins, puis laissez refroidir. Passez, filtrez, et placez au frais.

Le lendemain, préparez les ingrédients de la soupe. Décortiquez l'araignée de manière à obtenir deux cuillers à soupe de chair du coffre par bol, ainsi que deux tronçons de patte au moins. Vous pouvez éventuellement utiliser de la chair de "crabe des neiges ", on en vend de la congelée de qualité acceptable, à condition de la presser pour en évacuer l'eau qui est une arnaque de poids

Cuisez les nouilles le temps indiqué, encore un peu al dente pour ne pas qu'elles se brisent trop facilement. Egouttez-les et rincez-les dans de l'eau froide. Coupez la tomate en dés, la ciboulette en petits tronçons, et ciselez la coriandre. Battez les oeufs (vous pouvez y mettre quelques gouttes de sauce de soja), et faites les cuire en filaments dans de l'eau frémissante salée. Il y a deux techniques possibles à ma connaissance, soit verser doucement l'oeuf en réalisant des cercles au-dessus du récipient de cuisson, soit utiliser une passoire à gros trous. 

Réchauffez le bouillon assaisonné d'un peu de nuoc-mam. Placez les nouilles au fond d'un grand bol (préalablement passé sous l'eau chaude). Versez le bouillon brûlant, disposez les garnitures en terminant par la coriandre, et présentez aussitôt avec des tronçons de piment rouge, des quartiers de citron vert, et du nuoc-mam. 

nouilles1 

C'est une recette que j'ai combinée pour illustrer mon compte-rendu de ce livre, elle a donc muri longuement dans ma tête. C'était bon, mais lorsque je la referai, j'ajouterai un peu d'oignon pour la cuisson du bouillon. 

nouilles

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Commentaires
T
quelle délicieuse idée!
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N
Ça donne envie ! Merci beaucoup
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R
J'adoooooooore, la nouille est heureusement internationale !!!!
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I
L'histoire de la "bordure de nouilles" m'a fait hurler de rire (mais vraiment hurler, genre "Oh gast, celle-ci n'a pas toute sa tête").<br /> <br /> Ensuite j'ai trouvé très bienvenue la "diplomatie par les nouilles".<br /> <br /> Puis le reste du billet m'a fait baver de convoitise.<br /> <br /> Un grand merci, et bon WE de cuisine !
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H
Hmm, merci pour la recette !
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