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Cuisine de la mer
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5 septembre 2008

Ormeaux au yuzu, makis au wakamé et aux langoustines

"Tant qu'il y aura des ormeaux...", affirme un dicton inachevé du Nord Finistère, un endroit où on grandit avec les ormeaux de croissance, tandis que les ormes sont décimés par une terrible maladie. Je me souviens d'une arrivée en Touraine, sac au dos et fourbu, cherchant la maison d'un copain, une dame m'a renseigné ainsi "Prenez à droite après le grand'ormeau". Le temps que je comprenne qu'elle se référait à un arbre,  je me suis perdu deux ou trois fois, curieuses contrées que celles qui ne sont pas en bord de mer…

L'ormeau normal se différencie de la Laure Manaudou par le fait qu'il peut rester dans l'eau longtemps. Tandis que la nageuse, malgré ses efforts pour s'attarder dans la piscine, finit toujours par se cogner la tête en arrivant au bout et à vouloir s'en sortir, quitte à tirer sur la corde. Cela dit, l'ormeau ne nage pas, pas plus que l'ormeau n'hale.

On le nomme parfois "oreille de mer", en référence à sa forme. Toutefois, pour désigner en argot l'oreille humaine, on parle de "portugaise", une espèce d'huître qui a depuis assez longtemps disparu de nos côtes. Je propose donc que nous utilisions désormais l'ormeau, dans des expressions comme "les murs ont des ormeaux" , "la puce à l'ormeau", "prêter un ormeau attentif", "avoir les ormeaux qui sifflent", "entrer par un ormeau et sortir par l'autre", "avoir les ormeaux en feuille de chou (miam)" ou le pire de tous  : "ventre affamé n'a pas d'ormeau". A vous de jouer... après les jeux de mot, voici les jeux d'ormeaux sur CdM.

planche

L'ormeau est un gastéropode, comme l'escargot, le bigorneau, la patelle, le buccin et le peigne de Vénus. A l'instar de la plupart de ses semblables, il se déplace peu et lentement. On a réalisé de longues études sur le sujet, pour conclure à une mobilité d'amplitude moyenne de 6,7 cm (le type qui a mené cette étude était moniteur de sieste ou bourré de sédatifs).

Oui mais non. D'une part, d'un jour de grande marée à l'autre, on trouve des ormeaux à des endroits où ils n'étaient pas la veille, et croyez moi, j'explore à fond. D'autre part, l'étoile de mer, est un grand prédateur pour les ormeaux (comme pour les moules, les coquilles saint-jacques et même les oursins). Placez une étoile de mer à proximité d'un ormeau et vous verrez ce dernier littéralement filer en se dandinant, tel un cycliste imbibé de Viagra arrivant en haut du Ventoux.

L'ormeau n'est pas un coquillage filtreur, comme l'huître ou la palourde, c'est un brouteur. Il se nourrit principalement de petites algues rouges (la fameuse iode nano), qu'il grignote sur les rochers, les laissant aussi nus que la paume de la main. On prétend parfois que l'ormeau lave plus blanc, mais c'est abusif.

Ce sont les algues qui lui donnent cette incomparable saveur iodée. L'un de mes amis pharmacien-pêcheur (un vieux métier breton, précurseur de l'orméaupathie (pauvre Juliette...), dont la devise est : "Aux grands ormeaux les grands remèdes"), que j'ai tendance à croire lorsqu'il parle de la mer et de ses comestibles, m'a donné une information selon laquelle, la plus grande contribution à la saveur de l'ormeau serait le fait qu'il se délecte des "petites boules orangées" qui se trouvent sur les stipes de laminaires.

L'ormeau sexuel est prolifique, il peut produire jusqu'à 11 millions d'œufs qui sont dispersés au petit bonheur la chance.  La nacre de l'ormeau est utilisée en joaillerie, une autre raison pour laquelle il fait partie des espèces les plus braconnées au monde. La coquille est percée de trous, ce n'est pas un caprice esthétique de la nature, mais le résultat de sa croissance et partant, de celle de la coquille : en fait, c'est l'orifice anal. Tout ce qui brille n'est pas ormeau...

coqor

Algues et ormeaux

La côte du Nord Finistère est de loin la plus riche en algues des côtes françaises, et son air l'un des plus iodés au monde. Dans le passé, à part s'engager dans la marine, seuls trois métiers s'offraient aux gars de la côte, goémonier, orméaunier, ou pharmacien-pêcheur pour les plus dégourdis.

Il n'est pas étonnant que ce soit un endroit propice au développement de l'ormeau, et à son élevage dans les conditions les plus naturelles possibles, les pionniers de celui-ci en haute mer étant l'équipe de France Haliotis, dont j'ai déjà parlé dans ce billet. L'entreprise est déjà un succès aussi bien technique que de réputation; puisque nous sommes potentiellement entre gourmets, elle fournit de grandes tables telles celles de Feran Adrià, l'Astrance, Thierry Marx, Thierry Moine, Jacques Le Divellec, Hanawa, Michel Portos, Lionel Lévy, Alain Orillac, Patrice Hardy, Tateru Yoshino, Hiramatsu, Richard Toix, Jérôme Faure, Olivier Bellin et bien entendu Jean-Luc L'Hourre à Lannilis.

Bien que restant cher, le produit reste bien moins luxueux que les sauvages, pour une saveur très proche, de beaux sujets commencent à être commercialisés (5 -6 cm), leur saveur est bien affirmée.  L'entreprise doit prendre  de l'extension pour parvenir à un effet volume permettant de démocratiser le produit, et partant diminuer le braconnage. C'est tout à fait le type d'aquaculture qui me plaît bien, réalisée au large dans de l'eau propre et brassée par les courants (l'ormeau ne se développe pas bien dans une eau de mauvaise qualité), élevant des animaux végétariens, dont la reproduction est assurée en laboratoire (pas de prélèvement sur les sauvages) et uniquement nourris aux algues fraîches cueillies sur place.

Dans la région, le spécialiste des algues en cuisine, c'est Pierrick Leroux, un professeur de cuisine de Brest avec lequel je suis depuis longtemps en contact et que je n'avais jamais rencontré, jusqu'à m'inscrire avec ma fille à l'une des sorties qu'il organise périodiquement lorsque la marée le permet, de ramassage et de cuisine des algues. Il est l'auteur de l'un des livres les plus compétents en la matière, pour ce livre, ses DVD ou quelques jolies recettes, vous pouvez vous référer à son site, où vous apprenez par exemple que 85% des algues alimentaires consommées en France proviennent du Nord Finistère! C'est lors de cette demi-journée très détendue et riche d'enseignements, que j'ai adopté l'idée de ces makis, arrangés ensuite à ma façon, merci à toi Pierrick pour cette excellente idée!

Ormeaux au yuzu, makis au wakamé et aux langoustines

Ingrédients

- ormeaux de taille moyenne (5 à 6 cm)
- beurre
- jus de yuzu
- sauce ponzu
- poivre blanc

- feuilles de nori pour maki-zushi
- riz pour sushi
- vinaigre de riz
- sucre
- sel
- algue wakamé déshydratée
- langoustines de taille moyenne
- dulse fraîche (facultatif)

- natte à rouler les maki (makisu)

- Le jus de yuzu (un agrume asiatique proche du cédrat) se trouve en petits flacons dans les épiceries japonaises, de même que la sauce ponzu, qui est à base de yuzu, de sauce soja et de bonite. Si vous ne pouvez pas vous procurer ces produits, tentez votre chance avec un mélange de jus d'orange, citron et pamplemousse, et pour remplacer la sauce ponzu, mélangez de ce jus avec de la suce de soja clair et quelques gouttes de nuoc-mam.

- Le nori est l'algue la plus savoureuse de nos rivages, on l'utilise pour la confection des feuilles à maki, et on peut aussi la trouver en fragments ou paillettes séchés dans quelques magasins, on peu l'utiliser sèche ou réhydratée.

- Le wakamé n'est pas une algue indigène, mais en saveur, c'est l'une des meilleures. On a tenté avec succès sa culture à Ouessant, puis dans quelques autres sites, avec grand succès, puis que la plus grande partie de la production est exportée au Japon! Notre milieu marin lui convient si bien qu'elle a fini par s'y établir, ce qui  avait été considéré comme très improbable lors de l'installation des cultures. A ce stade, je ne sais pas s'il faut s'en plaindre ou s'en réjouir, il n'y a apparemment pas de phénomène de colonisation massive (comme celles qu'on connait avec quelques espèces en Méditerranée).

- La dulse est une algue rouge courante sur nos rivages, elle a une saveur et une consistance magnifiques, pour peu qu'on la fasse mariner une petite heure dans du jus de citron ou du bon vinaigre, avant de la consommer en salade.

- Les langoustines sont de tailles moyennes, trop petites, on n'en sent pas la saveur, trop grosses, elles encombreraient le maki!

1) Préparation des ormeaux

L'ormeau doit subir, la veille si possible afin d'être plus savoureux, quelques préparatifs pour qu'il soit prêt à être cuisiné.

oryu

Il convient d'abord de le décoquiller en utilisant de préférence un couteau à bout rond pour décoller ce coriace muscle entouré des viscères. Pour ceux qui n'ont jamais pratiqué l'opération, sachez qu'elle est facile et bien moins risquée que l'ouverture des huîtres!

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Ensuite, les viscères sont ôtés et la tête, aux antennes comme des cornes, est coupée. La coquille de l'ormeau ne représente qu'environ 25% de son poids, ce qui en fait le coquillage au meilleur rapport chair/déchet. Avec quatre ormeaux par personne, on réalise une entrée copieuse.

oryu2

L'ormeau doit être battu, c'est à dire placé à plat dans un torchon (pas votre plus beau, il tâche!) et frappé à l'aide d'un maillet de bois ou d'un rouleau à pâtisserie, sur cette protubérance coriace qui l'attache à la coquille. Certains cuisiniers l'ébarbent, pour ma part, trouvant que les barbes sont très riches de saveur, je me contente (avant de les taper) de les entailler de quelques coups de couteau afin qu'elles ne se rétractent pas à la cuisson. Ci dessous, l'ormeau tapé et avec les barbes entaillées.

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2) Préparation des makis

Cuisez les langoustines à l'eau salée, selon la méthode que vous trouverez ici. Décortiquez les (gardez les têtes pour faire un fumet ou mangez les immédiatement) et réservez les. 

Si vous utilisez de la dulse fraîche, elle n'est pas indispensable à la préparation, faites la tremper dans un peu de vinaigre de riz. Mettez le wakamé à tremper dans de l'eau tiède, vous serez surpris de la qualité de produit que vous obtiendrez une fois réhydraté!

Cuisez le riz après l'avoir copieusement rincé pour enlever l'amidon. Une fois cuit, incorporez un peu de vinaigre de riz, un peu de sucre et de sel, éventuellement la dulse égouttée et coupée en petits morceaux. Passez rapidement les feuilles de nori à la flamme du gaz, afin d'en renforcer les arômes.

Roulez les makis en plaçant au milieu du riz les langoustines et le wakamé. Ne les confectionnez pas trop en avance, sinon le nori va s'humidifier et devenir un peu caoutchouteux.

3) Cuisson des ormeaux

Vous les poêlez juste une minute sur chaque face, à feu assez vif, dans un peu de beurre. Puis vous les dressez en coquille dans l'assiette. La poêle est déglacée avec un peu de jus de yuzu, dont on verse quelques gouttes sur les ormeaux. Puis on ajoute dans la poêle de la sauce ponzu, le mélange étant versé entre les makis placés au centre de l'assiette, comme ci dessous.

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Dans les verres, il fallait un vin qui résiste aux notes très iodées de l'ormeau et des algues, je n'ai rien de trouvé de mieux dans ce rôle qu'un très bon Muscadet, en l'occurrence, la cuvée Amphibolite de Jo Landron.

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Commentaires
U
La bête n'est pas constante . Suivante les saisons, il faudra plus ou moins forcé le trait sur le maillet . Septembre à mars, c'est tendre, puis se raccorni un peu . Un truc simple aussi : les laissé mourir dans le bas du frigo avant de les décoquiller . Ils vont se relacher . Suivant la saison, on arrive à avoir un pied aussi tendre qu'une noix de St jacques, le bord restant plus ferme . <br /> Merci pour ces nourritures terrestres.
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C
Mon nom nha que est DO DE.Toute ma vie je n'avais mangé que des abalones du mexique. C'étaient les seules sur le marché à l'époque où l'indochine (viet nam) était protectorat. Un jour en France, récemment,j'ai mangé du frais en Bretagne.Ce n'est même pas la peine d'expliquer.<br /> Je m'intéresse au pays de ma mère le VN et j'aide un éleveur de BOUZIGUE a cultiver des moules à consommer sur le marché local. Les français comme les vietnamiens savent produire mais pas vendre. J'ai pensé à l'ormeau mais je crois que c'est impossible. Je vais m'adresser à France Haliotis. <br /> Même un nha que (paysan viet) prend plaisir à ta goaille. André Coulier
Répondre
C
Mon nom nha que est DO DE.Toute ma vie je n'avais mangé que des abalones du mexique. C'étaient les seules sur le marché à l'époque où l'indochine (viet nam) était protectorat. Un jour en France, récemment,j'ai mangé du frais en Bretagne.Ce n'est même pas la peine d'expliquer.<br /> Je m'intéresse au pays de ma mère le VN et j'aide un éleveur de BOUZIGUE a cultiver des moules à consommer sur le marché local. Les français comme les vietnamiens savent produire mais pas vendre. J'ai pensé à l'ormeau mais je crois que c'est impossible. Je vais m'adresser à France Haliotis. <br /> Même un nha que (paysan viet) prend plaisir à ta goaille. André Coulier
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S
ah bin là, là d'accord.<br /> <br /> L'ormeau c'est pas croyab' comme c'est bon. Et c'est encore moins croyab' comme c'est cher. (mais au moins, contrairement au caviar, on est pas volés niveau saveur).<br /> <br /> Signé : une nord finistèrienne qui tanne son gd-père depuis x années pr qu'il lui file ses bons coins!! (à ormeaux, à palourdes et à pétoncles noires...)
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M
en lisant ce billet, assez instructif, je pourrais m'endormir sur mes deux ormeaux si j'ai une interro sur ces petits coquillages.
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